Extrait du volume 5 (pour vous mettre l’eau à la bouche…)

♦♦♦

LA FEMME SANS PEUR (Vol. 5)

(Version provisoire)

 

1

“Et qu’est-ce qu’elles te disent ?”

Le médecin a essayé de poser la question avec le plus de naturel possible.

Mais je ne suis pas dupe

Du haut de mes 7 ans, je les connais ces hommes en blouse blanche qui me disent tous qu’ils me veulent du bien, qui me parlent d’une voix affectée, qui me sourient comme on sourit à un joli objet sans importance.

Ils veulent tous m’aider.

Je sais que ce n’est pas vrai.

Ce qu’ils veulent, y compris ma mère, c’est que je perçoive le monde comme eux ils le voient. Là, il n’y a même pas de discussion.

Lorsque je commence à parler des voix de mes amis, dans ma tête, ils réagissent toujours de la même façon.

“Tu es certaine ? Tu sais, souvent on croit entendre des choses mais en fait, c’est notre propre voix qui nous parle.”

Si j’insiste, en leur disant que mes escargots ont leur propre voix, pas comme un son qu’on saisit en vrai mais que j’entends dans ma tête, ils sourient.

“Tu sais bien que ce n’est pas possible, Trinity, les escargots ne parlent pas.”
“Tu entends ce que dit le médecin ?” ajoute ma mère. “Il n’y a rien, donc il faut que tu arrêtes avec ces enfantillages.”

Alors, j’ai abandonné. J’ai abandonné tout espoir d’être comprise, que quelqu’un me dise oui, je te comprends, ne t’inquiète pas.

Pourtant, un psychiatre, le professeur Esteveros, était différent.

Je l’ai senti tout de suite.

Au début, il m’a fait un peu peur. Il n’était pas grand, un peu vouté avec des lunettes et surtout une barbe fournie dans laquelle apparaissait quelques fils blancs.

Il ne m’a pas traitée comme une enfant qui ne raconte que des bêtises et qui n’a aucune idée de la réalité. Il m’a fait m’asseoir dans un fauteuil et puis, il a fait le tour de son bureau pour venir s’asseoir en face de moi, à ma hauteur. Cela m’a plu tout de suite, parce qu’il n’avait pas eu besoin de se protéger derrière son grand bureau et de me dominer, comme les autres.

De quoi ont-ils donc peur tous ?

Surtout, ce qui m’a fait le plus plaisir, c’est que le docteur Esteveros a demandé à ma mère de sortir. Elle l’a mal pris.

Ensuite, il s’est tourné vers moi et sa première question m’a surprise.

“Comment vont-ils ?”
“Qui ?”
“Tes amis.”
“Je n’ai pas d’amis.”
“Je parle de ceux qui te parlent dans ton cœur, en toi.”

J’ai relevé les yeux, inquiète.

Un grand qui parlait comme ça, ce n’était pas normal. Il essayait de me tendre un piège. Mais j’avais l’habitude.

“Je n’entends rien.”
“Comme moi, tu fais des rêves Trinity, n’est-ce pas ?”

Toujours cette voix douce et posée, difficile à résister. Une vraie voix de papa.

“Oui…”
“Moi, tu vois, parfois je rêve d’un cheval qui me parle.”

Mes yeux se sont arrondis.

“Oui, oui, je t’assure, un beau cheval, fougueux, racé. Il s’appelle Robin. Il me parle pour me dire merci.”
“…de quoi ?”
“Il me dit que je l’ai sauvé, que je l’aidé lorsqu’il s’est cassé la patte et qu’il ne pouvait plus courir. Il aurait dû finir à l’abattoir. Lui, un cheval de course, tu te rends compte !”
“Qu’est-ce que vous avez fait ?”
“Quand il me parle dans mon rêve, il me dit que je l’ai soigné, que ce n’était pas facile pour un cheval d’avoir une jambe dans le plâtre, que j’ai été très patient.”
“Il vous en raconte des choses.”
“Oui, il me dit même qu’après sa rééducation, il a pu gambader à nouveau, galoper, hennir, faire de belles ruades, les sabots hauts dans le ciel.”

J’ai réfléchi.

“C’est une belle histoire mais c’est juste un rêve…”

Le docteur Esteveros a souri dans sa barbe. Ses yeux ont pétillé.

“Est-ce que tu peux garder un secret ?”

J’ai vite hoché la tête.

Il s’est penché en avant et a parlé à mi-voix.

“Si tu veux, un jour je te présenterai Robin.”

Je suis restée sans voix.

“Surprise ?”
“Il existe ?”
“Oui, il a sa maison derrière chez moi et si tu veux je vous ferai vous rencontrer. Je suis certain que vous vous entendrez bien.”

J’ai encore réfléchi.

“Mais vous m’avez dit que c’était un rêve ?”
“Robin me parle dans mes rêves, c’est vrai. Pas souvent, parce que moi je ne sais pas comment lui parler…”
“Moi, je sais.”
“Oh ?… Vraiment ? Tu veux bien m’expliquer ?”

Comme il était gentil, je lui ai donné mes astuces pour y arriver. Il prenait des notes pour ne pas oublier ce que je lui disais. Il voulait vraiment aider son cheval !”

Je l’ai revu plusieurs fois et il a fait la connaissance de mes amis escargots.

Cela s’est terminé trop vite car ma mère n’appréciait pas de devoir sortir de son bureau à chaque séance. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, ce fut le traitement qu’il proposait pour me guérir de mes soi-disant lubies.

“Le dialogue madame, le dialogue, c’est tout ce dont elle a besoin.”
“Pas d’électrochocs ? Pas même un médicament pour lui faire entendre raison ?”
“Non, croyez-moi, Trinity va très bien. Ces traitements sont inutiles et risqueraient de lui faire du mal.”

Je n’ai plus jamais entendu parler de Robin et du docteur Esteveros.

 

2

La Ferrari ronronne, arrêtée.

Ce qui n’est pas normal pour une voiture de ce style.

Trinity ouvre les yeux. A ses côtés, Shunichi consulte un calepin posé sur le volant.

“Nous sommes arrivés ?”

Elle est maintenant complètement réveillée et regarde autour d’elle. Leur véhicule est garé sur un parking. Autour d’eux, il y a quelques bâtiments de type industriels et des champs.

“Je ne trouve pas…” dit le Nippon.
“Pas quoi ?”
“Meilleur glacier de la ville.”
“Dites, on pourrait aller à l’hôtel d’abord.”
“Ah non ! Trop loin. Nous faire pause d’abord.”

Il referme son calepin.

“Tant pis pour les glaces. Allons-y.”

Il referme le toit, coupe le moteur et ouvre sa portière. Trinity pose sa main sur son bras, les sourcils froncés.

“Aller où ?
“Dans ce café. J’ai besoin d’aller aux toilettes.”
“Vous ne pouvez pas tenir jusqu’à l’hôtel ?”
“Non, trop loin.”

Le Japonais sort et referme derrière lui. Elle est bien obligée de le suivre et s’extrait de la Ferrari. Soucieuse, elle remarque l’établissement dont parlait Shunichi. Une sorte de café restaurant pour voyageurs pressés.

“Parfait pour prendre une boisson chaude !” dit le Japonais en lui tenant la porte d’entrée.

Elle commande un caffè con latte et lui un mocha. Il s’éclipse aux toilettes, laissant Trinity seule, assise à une table. Elle pose son sac sur la chaise à ses côtés.

L’Américaine tente de contrôler sa respiration. Elle est encore sous le choc de tous les événements qui se sont précipités à Milan. Endormie, sur la route, elle a pu se calmer. Mais au réveil sur ce parking, sa situation précaire lui est revenue droit dans la figure, comme un boomerang entre des mains malhabiles.

En fuyant dans les rues de Milan, elle a agi par instinct. Maintenant, que va-t-elle faire ? Elle resserre son grand foulard orange autour de son cou. Ceux qui la poursuivent sont puissants. Que peut-elle faire toute seule ? La nonna et Damiana sont loin…

Shunichi la rejoint, tout sourire.

“Pas besoin de m’attendre. Buvez s’il vous plait.” Lui-même goûte à son mocha. “J’ai hâte d’arriver à Parme pour vous montrer la Scapigliata. Vous allez voir, elle est divine… comme une autre personne que je connais…”
“Ah ?” répond une Trinity distraite, toujours plongée dans ses pensées.

Le Japonais rougit.

Elle réalise ce qu’il voulait dire et secoue la tête.

“Non, Shunichi, n’essayez même pas.”

Il ne répond pas, penaud et boit encore de son mocha. Trinity enchaine.

“Nous sommes où ?”
“Piacenza.”
“C’est loin de Parme ?”
“Vingt minutes environ.”
“Andiamo ?”
“Trinity, attendez ! Vous toujours pressée…” Il soupire. “Si vous continuez comme ça, vous n’allez pas vivre vieil âge. Il faut prendre le temps, vivre au rythme de la nature.”
“C’est ce que vous faites avec votre Ferrari ?”
“La F458 est petit plaisir, pour quelques jours. Après, je rentre chez moi et je reprendrai le train pour circuler.”
“Vous n’avez pas de voiture ?”
“Non.”
“C’est un comble pour un ingénieur automobile !”
“Pas vraiment. A Tokyo, on va plus vite en métro ou en train.”
“Ah oui, c’est surpeuplé chez vous.”
“Seulement dans les grandes villes. La campagne elle, meurt. Situation triste. Je vous montre photo de mon village natal ?”

Il n’attend pas sa réponse et se lève déjà pour aller à la Ferrari.

Trinity prend le verre chaud entre ses mains et déguste sa boisson. Il n’y a pas à dire, se dit-elle, les Italiens font des cafés délicieux. Elle aurait tellement voulu pouvoir profiter de ces instants sans qu’à tout moment, le stress de sa situation ne vienne la perturber. Shunichi a raison. Elle ne profite jamais de ces petits plaisirs fugitifs de la vie qui font les bonheurs à long terme.

En a-t-elle jamais profité ?

Elle le sait. Qu’elle s’angoisse ou pas, cela ne changera rien. Elle aimerait pouvoir se détacher des événements extérieurs mais elle n’a jamais réussi. Toujours sur ses gardes depuis son enfance, comment le pourrait-elle ?

Peut-être qu’elle devrait refaire une thérapie… mais elle ne veut plus se retrouver face à ces hommes à blouse blanche. Alors elle garde tout en elle. Et maintenant, cela déborde.

Soudain, une explosion puissante fait trembler les baies vitrées du café comme un coup de tonnerre. La surprise est telle qu’elle renverse son caffè con latte sur la table et sur son manteau.

Elle bondit et se retourne, regardant le parking.

Un mélange de flammes et de fumée s’échappe de la Ferrari qui n’est plus qu’une masse de tôles et de plastiques en feu.

Trinity porte la main à sa bouche, le souffle coupé.

 

 

Extrait bonus !

Je profite du voyage de Speedy par FedEx “Airlines”, pour vous confier un secret… Je lui ai chipé un chapitre de ses carnets secrets que je vous soumets ci-dessous. Chut ! Ne lui dites rien. 😉

 

LA SPIRALE DE LA VIE

(Extrait moléculaire No. 286)

L’autre jour j’observais Trinity et son petit ami Tom*.

Quel cirque !

Personnellement, je trouve qu’ils se comportent comme des enfants. Pourtant quand je hume leurs phéromones, elles sont clairement identifiées comme étant développées, pleinement “adultes”.

Quand je les vois, je vous jure que parfois je me demande comment les êtres humains en sont arrivés à être les dictateurs de la Terre, à avoir pris en otage notre planète commune et à la piller. J’ai des doutes sur la capacité de ces géants.

Trinity et Tom eux, ils se comportent comme des enfants… et encore, des enfants brimés, ce qu’ils sont peut-être d’ailleurs. Mais enfin, ce n’est pas une raison pour rester dans ces schémas d’égo, de culpabilité, de menaces !

Une chose que je remarque, c’est qu’il emploient beaucoup le mot “tu”. Rarement le mot “je”. Vous voulez des exemples ?

“Tu ne penses pas à moi !”
“Tu fais toujours ce que tu veux.”
“Tu dois le faire, c’est ton problème.”
“Je compte sur toi, tu dois faire la vaisselle.”
“Tu étais où encore ?”
“Tu ne m’écoutes jamais.”

Et ça, c’est juste un petit échantillon. Partout où Trinity m’emmène, dans toutes les conférences, dans toutes les discussions que je sens, c’est toujours l’autre qui est un problème, pas soi.

Amusant non ?

Si c’était vrai, le genre humain devrait vivre en parfaite harmonie, non ? (Puisqu’on n’est pas coupable soi-même…)

A la maison, du fond de ma boite en plexiglas, j’ai l’impression que la lutte est constante. Tom accuse beaucoup, je trouve. Il menace très souvent. Il cajole aussi pour obtenir ce que lui, veut et Trinity a intérêt à accepter, sinon, il lui fait une scène.

C’est normal, car Tom a si peu confiance en lui. Il respire le doute, littéralement. Son empreinte odorifère est peu ragoûtante. Ses molécules que j’attrape entre mes antennes sont complètement déstructurées, un patchwork de diverses tendances peu claires. Évidemment, pour lui, c’est difficile de se construire. Il est comme un bébé, perdu dans le noir.

(Personnellement, j’aime bien le noir, cela me donne une sensation agréable de relaxation et c’est bon pour la réflexion.)

Alors, il joue les forts face à ceux ou celles qu’il croit pouvoir dominer. Comment il le sait ? Il fait exactement comme moi. Il sent, inconsciemment, les phéromones émises par la personne en face de lui et agit en conséquence. Si l’odeur reçue est structurée en confiance, il va, soit fuir, soit s’abaisser. Dans le règne animal, nous sommes tous pareils !

Trinity elle, n’est pas en reste.

J’essaie pourtant de lui faire comprendre.

Tant qu’elle émettra ces senteurs de peur et d’angoisse, elle n’attirera à elle que des êtres comme Tom qui veulent en dominer d’autres, apparemment plus faibles.

Elle ne veut pas rester seule, alors, elle est prête à se sacrifier pour construire une vie à deux… à tout prix !

Quelle erreur.

Elle vaut bien mieux que ça, mais elle ne le sait pas encore.

Je dois lui donner des petits signaux pour l’aider. Chez nous, les “non-humains”, on s’échine à essayer de vous faire comprendre plein de choses, qu’évidemment vous comprenez rarement. Mes amis chats ou chiens, chevaux et autres m’ont signalé quelques succès dans cette communication mais c’est encore trop rare pour que nous puissions vivre en harmonie.

Je suis loin d’avoir réussi et en attendant, elle n’avance pas. Tant qu’elle acceptera de se laisser dominer, sans conditions, par un autre, elle ne sera pas heureuse.

Ces alliances bancales, j’en hume tout le temps à travers nos voyages. C’est finalement assez rare de rencontrer des molécules bien faites, rondes, régulières, en harmonie les unes avec les autres ainsi qu’avec celles d’un autre être humain.

Cela arrive et on le sent tout de suite. Trinity, par exemple, a bien senti que Christina était quelqu’un avec qui elle pouvait avoir un rapport d’égal à égal, fraternel, amical. Un peu comme moi avec le Spiralien…

C’est ainsi qu’elles peuvent se soutenir toutes les deux.

C’est pourtant pas difficile !

Pourquoi les êtres humains compliquent tout ?

Je crois que j’ai la réponse au hold-up de la Terre par les humains : ils ont embrouillé tout le monde !

——

* Tom est l’ex petit ami de Trinity qui apparait brièvement dans le volume 1. (Révisez vos classiques !)

22 thoughts on “Extrait du volume 5 (pour vous mettre l’eau à la bouche…)

  1. Trop court le volume 4 et à l’allure où avance Speedy il va nous falloir attendre un certain temps avant de pouvoir lire la suite…. J’espère qu’il va mettre un petit coup de turbo!

    • Merci d’avoir tenu jusqu’au volume 4 Catherine ! Vous avez vu juste : Speedy (et moi) possédons un train de sénateur dès qu’il s’agit d’écrire et d’avancer dans l’intrigue. Nous savons où nous allons mais nous avançons piano, comme dirait la nonna. 😉

    • Tu sais quoi ? Merci infiniment Scapa !

      Je viens de me rendre compte que cette page d’extrait du volume 5 n’était pas liée dans le blog… donc personne ne pouvait la lire. Toutes mes excuses à toutes celles et ceux qui ont tenté sans succès.

      PS : A propos, comment as-tu fait pour la trouver puisqu’il n’y avait pas de lien ? :)

  2. Vite la suite j’ai hâte !!! Alors Speedy tu passes à la vitesse supérieure ?
    Une petite caresse sur ta carapace

  3. Il est vrai que les escargots aiment bien la pluie, mais trop point n’en faut, détrempons le un peu ! L’automne arrivant, il va être à son affaire notre gastéropode….

    • Si je l’utilise, j’aimerais vous dire merci en vous ajoutant dans la liste de mes “Remerciements” officiels en fin de livre. Pouvez-vous m’envoyer un mail à cette adresse ( jp[AT]revoperso.com ) pour me donner votre nom de famille ? Si vous êtes d’accord bien entendu. Mais je crois que ça fera plaisir à Speedy. 😉

  4. Quelle Action! et Quelle rapidité! Vraiment rythmé ce volume 4! Merci Jean-Philippe pour ce bon moment passé! J’ai vu la fin du volume arriver trop vite… Les pages glissent toutes seules:-) …. Et puis maintenant silence…. et patience pour lire la suite… je me sens desoeuvrée:-)

Un petit mot pour Trinity et Speedy ?